Écrire un billet…

Ok mais pour parler de quoi ? De la saison passée ? Je sais pas vraiment quoi en dire. De la saison à venir ? Tout risque encore de se réécrire. Parler de sentiment de colère ? D’indignation ? Nous naviguons déjà tant dans l’ombre, nous vivons déjà tant la même amertume collective, à quoi bon répéter ce que l’on sait déjà?

Alors oui, pendant 1 an et demi, nous étions gelés. Dans l’attente. Avec quelques petits sursauts d’espoir de vivre à nouveau pleinement notre art et de le partager en toute liberté. A la fin du mois de mai, ce vent de liberté a soufflé fort, très fort, portant loin nos rires, nos corps dansants et nos voix vibrantes comme pour nous rappeler la nécessité et le bonheur d’être ensemble et de célébrer le vivant. Nos corps transpirants à la tâche suintaient la joie d’avoir à nouveau le droit : les chargements, les bornes en camion, les montages, les balances, les pointages, les répétitions, et puis le trac. Ce trac si bon qui nous excite et nous pétrifie à la fois d’avoir à nous exprimer devant du public, ce public que nous attendions et qui nous fait l’honneur d’être au rendez-vous. Il nous écoute et réagit, il est concave et bienveillant. Malgré ses sourires cachés, il semble particulièrement touché et heureux de partager avec nous ces moments devenus rares et précieux. Ça se lit dans ses yeux. Ces yeux qui sont aujourd’hui plus que jamais le reflet de nos âmes.

Partager. L’art n’a plus aucun sens s’il n’est pas partagé. Il sert à rêver, à ouvrir des espaces, à révéler chez les uns et les autres les vécus oubliés, à faire du bien, à tournebouler les boyaux, à rire, à pleurer, à réveiller quelque chose à l’intérieur. Bien sûr que c’est essentiel. Bien sûr qu’on a
besoin d’un public pour faire vivre l’art.

Alors comment continuer désormais ? Jusqu’où pourrons-nous accepter des conditions toujours plus dures et ostentatoires ? Comment approuver les discriminations, les divisions qui en découlent, les atteintes à la liberté individuelle ? Il y a eu des bracelets de couleur à Chalon. Vraiment ? Il y a
aujourd’hui un public devant et un public derrière des barrières. Ah bon ? Même dans la rue ? A l’air libre ? Non ! Hé bien si.
« Les grandes personnes sont bien étranges ».
Si le Petit Prince débarquait aujourd’hui sur Terre, pourrait-il nous aider à vaincre notre propre absurdité ?

En attendant n’oublions pas : à la fin du mois de mai, le vent a soufflé. Il était chaud, doux, et vivifiant. Gardons sa sensation très fort dans le coeur, comme une madeleine de Proust à déguster.
Entretenons sa saveur. Et surtout n’ayons pas peur. Ayons plutôt le trac.

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry


Lalao, compagnies Sons de toile et Mélimel’Ondes